L'action comme
texte
Dans le chapitre Le modèle du texte : l'action
sensée considérée comme un
texte de son ouvrage
Du texte à l'action
(1) , P. Ricœur rapproche
l'action du texte à travers
quatre traits fondamentaux de la textualité qu'il a
d'abord mis au jour : ces traits, il les reprend en fait
à la "linguistique de la phrase", en tant que
celle-ci s'efforce d'analyser le discours (E. Benveniste
semble son inspiration principale). Je vais commencer par
nommer les traits et dire leur validation dans le champ de
l'action, d'un même mouvement.
1) Le discours, comme manifestation, est
présent, à la différence du système
de la langue, qui reste adhérent à
l'éternité ; le passage du discours au texte
est passage au plan de l'inscription, de la fixation
matérielle, accès à un point de vue qui
privilégie le dit sur le dire. Le
présent de la phrase est typiquement sa valeur
illocutionnaire, sa qualité d'acte de langage ; dans
la perspective du texte, cette valeur s'inscrit, via des
morphèmes grammaticaux (comme l'impératif pour
la commande), même si, peut-être, elle ne
s'inscrit pas complètement, quelque chose de la
vivante occurrence de l'acte de langage se perd avec la
situation de l'interpellation. L'action, de même, ne
devient véritablement action au sens d'objet de
connaissance appelant la compréhension,
l'interprétation, demandant à être
catégorisée, que lorsqu'elle est
"fixée", retirée à la transaction
infinie de l'inter-action humaine. Elle se laisse alors
analyser selon son "noème d'action", d'après
la structure propositionnelle, le verbe et les
compléments de la phrase qui la dit : l'analyse
"pragmatique" à la Searle des actes de langage vaut
comme typologie de l'action, exhibition des règles de
l'action dès lors que celle-ci est fixée,
c'est-à-dire dès lors que son
événement a
laissé sa marque.
2) Le discours, à l'encontre de la
langue absolument impersonnelle, renvoie à son
locuteur via les embrayeurs. En revanche " la
carrière du texte échappe à l'horizon
fini vécu par son auteur ", l'intention du texte et
celle de l'auteur ne peuvent plus être
présupposées identiques, la signification ne
peut plus être secourue que par la signification, ce
qui ouvre le droit de l'interprétation. De même
l'action s'autonomise de son auteur en tant qu'elle prend
une signification sociale, c'est à ce niveau
notamment qu'elle peut être évaluée et
jugée dans ce qui compte véritablement comme
ses effets. Cette autonomisation permet de repérer le
"support" sur lequel s'inscrit l'action, selon l'analogie de
l'écriture : ce support est tout simplement
l'histoire, "dossier" implicite de toutes les actions
humaines :
" Précédant les archives intentionnellement
mises par écrit par les mémorialistes, il y a
le processus continu d'"enregistrement" de l'action humaine,
qui est l'histoire elle-même en tant que somme des
"marques", dont le destin échappe au contrôle
des acteurs individuels " (2).
3) Le discours, à la
différence de la langue, dénote ou
réfère, il représente un monde. Le
monde de la parole vivante est la situation, il
s'égalise aux références ostensives
validées à même l'interlocution. Le
monde du texte est ce sur quoi ouvrent les
références non ostensives du texte, il se
distingue de toute situation comme l'intention du texte se
distingue d'une intention d'auteur. La notion d'ouverture de
monde est explicitement rattachée par Ricœur à
l'Être-au-monde
heideggerien, c'est-à-dire donc à la
mondanéité du Dasein. Une action
ouvre un monde, semblablement, dans la mesure où son
importance, sa pertinence dépassent le contexte
social immédiat où elle s'inscrit. Ce renvoi -
à la limite omnitemporel - de l'action aux contextes
de l'histoire est ouverture de monde (institution de monde,
proposition de monde ?).
4) Alors que la langue est simplement
moyen de communication, le discours est une adresse
effective ; le texte garde cette dimension, mais
l'universalise (" Mais c'est une chose pour le discours
d'être adressé à un interlocuteur
également présent dans la situation du
discours ; c'en est une autre de s'adresser, comme c'est
habituellement le cas dans tout phénomène
d'écriture, à quiconque sait lire. ")
(3). De même, l'action
pertinente ne projette un monde hors son contexte qu'en
adressant cette projection à l'interprétion
pratique de tout acteur qui la comprendra :
" C'est parce qu'elle [n.d.l.r. l'action] "ouvre" de
nouvelles références et en reçoit une
pertinence nouvelle que les actes humains sont aussi en
attente d'interprétations nouvelles décidant
de leur signification " (4)
Cette analyse peut être
rassemblée dans le tableau suivant :
|
langue
|
discours
|
texte
|
action
|
chronie (1)
|
éternelle-
|
- présent
- dire-
- force-illocutionnaire
|
- présent inscrit
- dit-
-mophèmes grammaticaux fixant la force
|
- action retirée à l'infinie intervention humaine-
-analyse du type pragmatique de l'action, du
"noème d'action"
|
lien à l'auteur (2)
|
impersonnelle--
|
signification liée par les embrayeurs
|
- signification qui s'autonomise
- interprétation
|
- l'action s'autonimise dans le social
évaluation
- le support d'inscription est l'histoire
|
Lien au monde (3)-
|
nul-
|
référence ostensive dans la
situation
|
monde = ensemble des références
non ostensives du texte = monde intentionné
de l'Etre-au-monde
|
L'action renvoie à tous les contextes
possibles de l'histoire = proposition de monde
|
Lien au Tu (4)---
|
moyen de communication
|
adresse effective du destinataire singulier
|
universalisation du destinataire
|
destinataire de l'action = tout
acteur/interprète de l'histoire
|
Telle est donc la traduction de l'action
comme texte que propose Ricœur. Elle doit, à mon
avis, être rapprochée de l'explication
analytique de l'action selon le schéma
R+F®A
: dans un paradigme différent, clairement
subordonné à la raison herméneutique,
elle prend appui sur la même ontologie de l'action. Le
"changement" consiste dans le passage du paradigme de
l'explication à celui de l'interprétation, et
le traitement de l'intériorité subjective
devient plus clairement son éviction, c'est ce qu'il
faut expliquer maintenant.
L'extériorité herméneutique
de l'action
Toute l'analyse de l'action
proposée par Ricœur se réclame du texte.
Pourtant, l'élément linguistique
évoqué est toujours la phrase, ce qui
s'appelle texte est ici purement et simplement la phrase
écrite, et pas une compositio
multi-phrastique ayant sa cohérence propre, un texte
au vrai sens du mot. Les coordonnées de l'analyse
empruntées à la linguistique sont en fait les
mêmes que celles qu'invoque Von Wright : la structure
propositionnelle de l'énoncé d'action et la
valeur illocutionnaire de la phrase. Comme il vient
d'être dit, il reste vraiq ue l'action est
identifiée comme telle via la manifestation du
langage intentionnel. En quoi consiste donc le propre de
cette lecture her-mé-neu-tique de l'action ?
À un niveau explicite, elle
consiste en l'hypothèse du plan d'inscription
historico-symbolique. L'action est le corrélat d'une
phrase d'action, toujours et par principe, mais l'agi
s'inscrit dans l'histoire et le réseau symbolique,
alors que le dit s'enregistre sur les surfaces d'inscription
(papyrus, rouleau, papier, plomb, mémoire
magnétique, mémoire magnéto-optique…).
De plus, cette extériori-sation dans le milieu
historico-symbolique appelle une modulation indéfinie
de la valeur : l'interprétation. L'action est,
à la vérité, depuis le début
compré-hension de l'action, tel est au fond
l'enseignement cardinal de la triplicité des
mimèsis. L'action étant inséparable
au niveau 1 de son récit, qui en est une
précompréhension, la composition
littéraire de la mimèsis 2 et la refiguration
personnelle de la mimèsis 3 ne sont pas autre chose
que les moments d'une dynamique de l'interprétation
consubstantielle à l'action. Ou encore, les trois
instances de la mimèsis répercutent et
transposent l'écart à soi-même qu'est
l'action comme récit : cet écart est
donné par la valeur symbolique et
l'intratemporalité, la précompréhension
intentionnelle n'est pas ce qui rend l'action
essentiellement incomplète et questionnable.
Or, la mise à distance de soi de
l'action comme interpretandum est une
extériorisation, à la fois l'assujettissement
de l'action, pour ce qui est du sens, aux contextes du champ
symbolique, et sa subordination plus profonde encore
à la figuration ou proposition de monde. L'action
comme texte est principalement déploiement de
références non ostensives. De cette
manière l'agir est, comme modalité de
l'Être-au-monde,
extériorisation. Toute la textualisation de l'action
exposée par Ricœur converge vers cette idée de
proposition de monde. Cette valeur vient-elle de la phrase ?
Lyotard dit, dans Le
Différend, que chaque
phrase, par sa force illocutionnaire même,
présente un univers (5) ; mais
un type d'univers, pour lui, est une assignation de
rôle aux instances du destinateur, destinataire et
référent, l'institution d'un régime
formel de phrase (le texte se retrouve chez lui comme
l'enchaînement des phrases selon une finalité,
ce qu'il appelle le suivi d'un genre). Il ne semble pas que
ses univers soient des "scènes", des systèmes
ouverts de références vers lesquelles projeter
l'existence. Peut-être le monde, en effet, ne peut-il
être que le corrélat d'un texte au sens de
Rastier, bien que cela reste, à ce que j'en
perçois, impensé chez Ricœur comme chez
Heidegger.
En tout cas, deux éléments
me semblent devoir être soulignés : que la
valeur d'interpretandum vient
à la place de la logicité du dispositif
analytico-cognitif, et qu'elle destitue
l'intériorité subjective, que "jouait"
précisément l'inférence logique.
L'action est décrite, définie et
analysée dans son destin en termes de son
extériorisation historico-symbolique et en termes de
l'extériorisation d'un monde qu'elle est ou veut :
elle n'est plus rapportée à un sujet. Ou
plutôt, le sujet ne fonctionne pas comme
intériorité dont l'action émanerait,
elle ne se constitue pas, ne se tisse pas du contenu d'un
sujet. Le sujet intervient quand même, en bout de
course, au niveau de mimèsis 3, comme
instance de réception de l'action. Que l'action
propose un monde-pour-l'exister, il faut une existence pour
le vivre en une ultime interprétation, celle de la
lecture. Mais cela n'empêche pas que la position et la
trame de l'action, son épaisseur identitaire en somme
ne sont plus déterminées par une
intériorité psychique. Le "module logique
central" était dans la conception
analytico-cognitiviste toute l'intériorité
constituante de l'action. Il n'est donc pas surprenant que
l'éviction de l'intériorité agissante
dans la conception herméneutique aille de pair avec
une éviction de l'élément logique. Le
logique conférait, dans la conception
analytico-cognitiviste, sa déterminité
d'enchaînement propre à l'action,
étrangère au monde et à l'organisme.
Une telle déterminité n'est pas formellement
niée dans la conception herméneutique, mais
rendue non pertinente : puisque l'essence du contenu de
l'action est dans l'extériorité
historico-symbolique, ses enchaînements
résident dans cet extérieur, on professe donc
qu'ils ne se prêtent pas tant à une
construction a priori qu'à une reconstruction
interprétative a
posteriori. L'action a son
essence dans l'après-coup de sa carrière
historico-symbolique. Mais la logique est la
détermination progrédiente du contenu des
énoncés, elle explore ou décrit les
significations qui sont déjà là quoique
non dites, elle exploite toujours - en dévidant et
dérivant - une réserve capitalisée
d'énoncés, qui constituent un intérieur
de ce fait et en ce sens. En revanche, si l'action a
l'essence de son contenu dans son retentissement, ce
retentissement ne pourra être consacré que par
et dans des interprétations, dont une
indéfinie pluralité et succession est possible
dans le principe : l'indétermination de l'action
comme interpretandum s'oppose donc à la
déterminité, ou à la
déterminabilité à tout le moins de
l'enchaînement logique comme intériorité
psychique.
L'action comme
suppléance du critère
Cette philosophie de l'action peut
être comparée avec celle qui s'autorise du
second Wittgenstein. Dans les Investigations philosophiques, on le sait, Wittgenstein argumente contre la
possibilité d'un langage privé, et
au-delà, contre l'idée que des
éléments constitutifs du sens des
énoncés déclarant des qualia puissent
résider dans l'intériorité subjective.
En substance, l'argument est que le quale comme tel est par
définition ineffable, que l'explicitation du sens des
énoncés de qualia ne peut
consister qu'en des prédications conceptuelles ou des
renvois à d'autres énoncés de
qualia,
en des actes de signification publics donc, en sorte que
l'idée même d'une confrontation de la
signification de l'énoncé avec
l'éprouver du sujet est condamnée à
rester une absurdité. L'argument est apparenté
à celui qui dénonce l'hypothèse d'une
instruction intime quant à une règle de
portée infinie qui guiderait une fois pour toutes les
applications de la règle par le sujet : une telle
instruction, argumente-t-on, est forcément finie et
donc mathématiquement inadéquate à la
spécification de l'infini, sauf si elle
présuppose la possession d'autres règles de
portée infinie. De même, un critère
sémantique des énoncés de
qualia
est forcément public, et à ce titre il ne peut
que renvoyer à la supposée
compréhension commune d'autres énoncés
de qualia (je dis que j'ai mal quand mon âme est
traversée par un lancement). L'important pour nous
est que la "solution sceptique" du paradoxe du langage
privé, pour Wittgenstein, est pratique : nous
appliquons aveuglément les règles de
portée infinie, en traitant toujours le crtère
de leur application correcte comme intersubjectivement
donné même si aucune subjectivité ne le
détient ou ne peut l'expliciter d'aucune façon
; de même, nous utilisons les énoncés de
qualia
comme modes expressifs renvoyant à un contenu qui
s'identifie à l'ensemble des comportements ostensifs
conventionnellement corrélés avec cette
expression. Peut-être y a t-il une précondition
subjective-intérieure à l'entrée de ce
jeu de l'émotion, mais elle demeure hors le champ de
la signification (elle n'est jamais ce que l'on signifie ou
ce qui garantit la signification) .
Dans ce dispositif, l'action est ce qui
supplée à la carence de
l'intériorité vis-à-vis de la
signification. Le registre de l'action est celui dans lequel
se joue la signification, y compris dans les dimensions de
celle-ci qu'on croierait spontanément indexées
sur la subjectivité et son intériorité
: les dimensions de l'affection légale et sensitive,
comme on vient de le voir. L'action est donc fortement
clivée d'avec la subjectivité. En revanche,
elle se prête à l'interprétation :
l'interprétation se définit en effet comme
l'apport d'explicitation constamment possible et venant
remplir le défaut de légitimation
intérieure des significations. Bien qu'aucun
critère de ce qu'est un quale exprimé ou
de ce que veut une règle ne soit jamais disponible ni
ne puisse l'être, il est possible de déclarer
le jeu de renvois et de présuppositions auquel
s'adosse à un moment donné une signification
dans une communauté. De remonter l'aporie du langage
privé jusqu'à la règle ou l'expression
de quale présupposée, ininterrogée.
Cette tâche d'explicitation et de critique ressemble
à ce qui a été toujours conçu
comme la tâche de la philosophie, dans une version
assez franchement sceptique. On peut aussi la définir
comme la tâche herméneutique. Je ne suis pas
sûr qu'il y ait, entre ce wittgensteinisme et les
conceptions de Ricœur, une différence philosophique
profonde. Bien que beaucoup les sépare du point de
vue de la Stimmung.
Je voudrais pour finir évoquer une
troisième lecture du problème de l'action,
celle que je prête au courant dit de la vie
artificielle en sciences cognitives, courant que l'on peut
encore nommer, c'est-à-dire essayer de
repérer, de plusieurs façons : paradigme de
l'enaction, constructivisme, sciences cognitives de
l'Être-au-monde par
exemple.
L'action pour le
constructivisme cognitif
Ce courant reprend à son compte,
dans une modalité positiviste, la thèse de
Sein und Zeit selon laquelle le comportement fondamental de
l'homme est l'explicitation, le "prendre quelque chose comme
quelque chose", si bien que l'herméneutique
apparaît comme une détermination fondamentale
de l'existence, du Dasein. Il ne peut
échapper à personne que cette
herméneuticité de l'homme est dite au nom de
l'action, ou en tout cas du faire, du comportement : c'est
sur un mode primitif-pratique, dit mode de
l'ustensilité, que l'homme manifeste son
herméneuticité fondamentale. Les recherches
cognitives contemporaines apportent toutes sortes de
confirmations à cette thèse : la biologie, les
neurosciences, l'éthologie, la psychologie du
développement, tout semble nous confirmer que l'homme
se spécifie comme tel par des comportements qui
confèrent à un environnement la valeur
d'environnement, comportements qui peuvent à chaque
fois être décrits comme interprétations.
Interpréter ne veut pas tant dire dégager un
sens d'un texte, mais configurer, construire (d'où la
possibilité de nommer constructivisme le courant) :
interpréter est au fond pris en son sens
Nietzschéen. La doctrine de ce construcitivisme,
néanmoins, est que ces comportements configurent un
Umwelt
sur le fond d'un Welt neutre et
préalable, qu'il faut postuler même s'il est
impossible de l'atteindre dans son objectivité (tout
a lieu dans un Umwelt).
L'interprétation consubstantielle à
l'organisme est donc si l'on veut interprétation du
Welt,
qui tient une place analogue à celle d'un texte ;
mais elle est tout autant configuration, construction d'un
Umwelt.
L'interprétation, dans cette perspective, est
à la fois le comportement fondamental de l'homme et
la détermination a priori incontour-nable de son
comportement (il n'y a pas à la lettre, de
dénotation des choses du monde, ou plus radicalement
et simplement de perception, cette dernière est
toujours tissée de motricité et donc
interprétative, située dans une production
d'Umwelt et à son tour productrice d'un raffinement
ou d'une spécification d'Umwelt). Tout ce que
j'ai choisi d'exposer à l'instant plus ou moins dans
la ligne de Stewart, Scheps et Clément , j'aurais
aussi pu, à certaines inflexions près, le dire
dans un lexique merleaupontien, voire heideggerien. Le
courant dont j'évoque les thèses a produit en
fait un dictionnaire de sa langue vers celle de la
phénoménologie heideggerienne, dont voici les
entrées principales : organisme = Dasein, Umwelt = monde,
couplage = Être-au-monde,
interpré-tations ou constructions de la vie =
explicitation.
Les deux questions qui se posent,
vis-à-vis de cette doctrine qui semble conjoindre de
manière essentielle herméneutique et action,
sont les suivantes :
1) traite-t-elle véritablement de
l'action ?
2) Quel rôle
l'intériorité subjective y joue-t-elle
?
Pour la première question, je
renvoie à la prochaine section, en me contentant de
signaler la difficulté. Le problème est qu'un
comportement n'est pas ipso facto une action. Il ne
va pas de soi qu'on puisse qualifier d'action ce qui ne nous
vient pas par le langage intentionnel d'un sujet. Si je dis
que l'isolement de l'agent viral par la réponse
immunitaire est une action (8) , il
est clair que je métaphorise. Quelles sont alors la
limite et la règle ? On ne peut argumenter au plan
naturaliste que l'homme est animal herméneutique dans
son action que si l'on sait naturaliser l'ation. Au plan
philosophique, il faudrait donc se demander tout d'abord si
l'explicitation du §32 de Sein und
Zeit est une action, comme le
verbe prendre dans le slogan qui pourrait la définir
("prendre quelque chose comme quelque chose") semble le
dire.
Pour la seconde question, l'important est
de ne pas se leurrer sur l'ambiguïté ou
l'ambivalence de ce discours "constructiviste".
L'interprétation fondamentale, la production
d'Umwelt n'est pas conçue comme émanant d'un
sujet au sens classique, elle est plutôt ce qui le
constitue dans son écart et son opposition (son
déphasage chez Pichot ) (9)
vis-à-vis de l'environnement. Certes. Jusque
là on serait tenté de dire qu'il y a sujet,
mais au plan du résultat et pas en tant que condition
préalable, et qu'il n'y a pas
intériorité, ou du moins que celle-ci se
constitue dans l'"interprétation" agie-vécue
par l'organisme. Mais il faut voir en même temps que
ce discours est pour une part circulaire et impossible. Le
sémantisme des verbes se
séparer, s'opposer, se
déphaser ou
se décaler comporte le fait que le sujet qui s'y trouve
réfléchi "existe" au départ du
processus. Le caractère centrifuge de l'action - si
l'action est le compor-tement de production
d'Umwelt - n'est donc jamais véritablement
effacé par cette conception. Ce qu'elle fait, c'est
plutôt réduire l'instance "centrale" du sujet
à la formalité du Dasein heideggerien :
celle d'une flèche de la projection. L'action est
donc, de ce point de vue, comprise comme le résultat
du projeter d'un sujet dénué
d'intériorité, et qui trouve toute
l'épaisseur qui peut lui revenir dans la
"construction" qu'est son expliciter. On retrouve
l'analyse que nous avions déjà faite de
Ricœur, et ce n'est pas surprenant, puisque c'est le message
heideggerien qu'en amont nous examinons dans les deux
cas.
Essayons maintenant de dire quelques mots
sur le problème ontologique de l'action.
(1) Ricoeur, 1986.
|
(2) Ricoeur, 1986, 195
|
(3) Ricoeur, 1986, 189.
|
(4) Ricoeur, 1986, 197.
|
(5) Lyotard, 1983, chapître Le
Différend, Le référent, le
nom, La Présentation; §18, 25, 111
notamment.
|
(6) C'est à peu près la
conclusion de Dubucs dans Dubucs, 1995.
|
(7) Clément, Scheps, Stewart, 1997 et
Stewart, Scheps, Clément, 1997.
|
(8) Je renvoie ici à un bel article de
John Stewart (Stewart, 1994).
|
(9) Cf. Pichot, 1991.
|
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